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( Emmanuelle Renard, Sophie Sainrapt ) Quatre main

 

Par Joëlle Péhaut ( Septembre 2023 ) Pour leur nouvelle collaboration, ce « Work in progress » Emmanuelle Renard et Sophie Sainrapt ont décidé de « s’amuser » plus encore. On agrandit la cour de récréation et on joue sans surveillance !

Alors elles travaillent aujourd’hui sur des formats plus grands (Jésus, raisins et faux carrés) et se libèrent des contraintes qu’impose la gravure (« Disparates », Première exposition à quatre mains, hommage à Goya en octobre 2022 à la Galerie Terrain Vagh)

C’est chemin faisant, ensemble et grâce à la rencontre d’adultes en situation de handicap, à Lyon et à un projet mené sous l’égide des Editions du Renard Pâle( réalisation de 30 peintures originales 24×32 cm et d’un livre) , que peu à peu s’est forgé le désir d’aller encore au-delà, de se départir de tout point de départ (les aphorismes pour le projet de Lyon), de toute référence, (Goya ou le baroque pour les expositions à Paris, à St Rémy de Provence) et de laisser libre cours à leur créativité et leur liberté.

Chacune a son aire de jeu et pourtant elles partagent le même terrain !

Car il s’agit bien toujours de confronter les deux inspirations et de réaliser, en duo, avec des techniques mixtes (encre, huile, pastel, eau…) des grands formats sur papier. L’exercice qui s’avère jouissif reste cependant difficile.

L’exercice est difficile parce que l’enlacement des représentations ne réside pas seulement en un agencement des formes ou un ajustement de la couleur, mais bien en une confrontation de paradigmes formels différents. Cela induit de nouvelles règles du jeu de la pensée : Chacune des deux artistes est bousculée non seulement dans son geste artistique mais dans sa pensée-même.

Ce territoire partagé de la feuille de papier est un ring sur lequel style, flux, geste et vocabulaire mais également pensée, représentation et référence se frottent et se cognent.

On le sait avec Guattari, « la pratique artistique forme un territoire privilégié de l’individuation » Décider d’abandonner la maitrise de ses choix et se laisser emmener vers les choix de l’autre ou, a minima, composer avec, demeure un exercice courageux voire téméraire. Il s’agit de créer un « nous ».

Heureusement, l’une et droitière et l’autre gauchère. Elles peuvent donc travailler au même moment, dans une sorte de performance de « correspondances », d’exercice de duettiste et de dialogue du geste.

Sans fil d’Ariane commun désormais, c’est à tour de rôle que l’une déplace l’autre, que l’autre stimule l’une pour et qu’elles s’inspirent mutuellement.

Le tout pour faire se déployer des images complexes qui créent souvent un joyeux effet de surprise pour les deux artistes. Dans une volonté affranchie de toute compétition.
Et c’est là que l’exercice est jouissif !

Composer une œuvre, c’est « mettre ensemble ». Ici, c’est « être ensemble », également. Cela interroge à la fois le statut de l’artiste comme celui de l’œuvre.

Et c’est une proposition bien audacieuse que de faire coaliser deux univers singuliers en créant de nouvelles formes à partir de la palette dont chacune dispose dans une polyphonie de subjectivités. On échappe alors au style : Ni déification ni pétrification mais toujours, mouvement. Un registre esthétique (formel) qui donne lieu à de de nouvelles règles du jeu de la pensée et qui inaugure des ouvertures prospectives.

Et cette « dynamique » de fabrication, à partir de fonds très travaillés (à deux, cela va sans dire…) fait jaillir une « cuisine » artistique aux saveurs bien exotiques.

Emmanuelle Renard est née avec la peinture.

Sophie Sainrapt y est venue plus tardivement.

Et si Emmanuelle Renard « déconstruit » la matière et pousse toujours à aller plus loin, Sophie Sainrapt sait dire « stop ! » En « parasitant » l’espace par un dessin érotique, par exemple.

Emmanuelle Renard a un « geste mémoire », synthèse d’années de dessin et de peinture.
Sophie Sainrapt a un geste plus « primitif »et s’inspire volontiers de l’art pariétal.

Etrangement, l’approche de Sophie Sainrapt est plus intellectuelle. En fait, Emmanuelle Renard crée des mondes et Sophie Sainrapt prélève avec précision des éléments du monde.

Le végétal et l’animal, dans un univers plutôt androgyne, sont très présents dans le travail d’Emmanuelle Renard.

Son acolyte sexualise le tableau, l’érotise et le féminise, plus exactement.

SophieSainrapt use du noir et blanc. Sa comparse lui préfère les couleurs primaires.

Sans détruire ni dénaturer le travail de l’une ou l’autre, les apparitions successives activent pour chacune des deux artistes, une idée nouvelle, une vision inédite du tableau.

Et pour nous, spectateurs, tout se mêle sans s’emmêler : Avatars d’animaux, métamorphoses du végétal, êtres fabuleux, animaux chimériques, hydres, hippogriffes et toutes sortes de créatures hybrides terrifiantes et drôles à la fois.

Une ballade en tératologie, en quelque sorte.

Mais les anomalies, les aberrations et toutes les dérogations aux lois ordinaires, même si elles peuvent paraitre a priori effrayantes, à y regarder de près, procurent plutôt le sentiment d’une créativité foisonnante et illimitée à l’instar d’un cadavre exquis négocié.

Pour notre plus grand plaisir, cette splendide exubérance de scènes surnaturelles où la     « mère nature » déborde de ses lois pour féconder des espèces en voie d’apparition est une belle promesse, en actes, d’une possible résolution de mondes parallèles.

Artiste :

( Emmanuelle Renard, Sophie Sainrapt ) Quatre main