Ce travail à quatre mains – rare chez les artistes femmes – a débuté à la galerie Terrain Vagh en automne 2022 par une exposition de gravures intitulée « Disparates » et s’y clôturera cet automne 2024 par la présentation d’une nouvelle et ultime série inédite d’huiles sur papier.
« Barroco » proposera aux visiteurs une quarantaine d’œuvres vibrantes de vie et de couleur, marquant l’étape ultime de l’expérience artistique d’Emmanuelle Renard et Sophie Sainrapt, qui ont travaillé ensemble pendant deux années pleines de vie en fusionnant leurs univers respectifs. Spontanément, elles ont décidé de mettre un terme à cette “récréation enchantée”, pour retourner chacune à sa création personnelle. Joyeusement, elles ont intitulé la dernière œuvre réalisée ensemble La Dernière (visuel de l’affiche), signifiant ainsi la fin de leur co-création et illustrant le ca- ractère ludique et jubilatoire de l’aventure !
» Allons bon. Elles remettent ça ! Emmanuelle Renard et Sophie Sainrapt travaillent une nouvelle fois à 4 mains. La précédente, elles avaient conçu des estampes, inspirées par l’univers romantique de Goya et imprimées au carboran- dum, comme au bon vieux temps de feu leur maître graveur commun, Nicolas du Mesnil du Buisson. Cette fois, elles imaginent des peintures et des dessins bien à elles, rien qu’à elles. Le résultat, foutraque et lumineux, nous entraîne dans des marais touffus par une nuit de pleine lune. Entre mangroves et rhizomes, naïades, diablotins, flamants roses et tomates grimpantes s’adonnent à de curieux conciliabules, d’étonnantes sarabandes, tandis qu’au loin gronde un incendie, explosent des comètes, pleuvent des météores. Les belles échevelées et replètes caractéristiques du monde de Sophie se dandinent. Imperturbables, les échassiers chimériques propres à l’univers d’Emmanuelle picorent des glycines luxuriantes, possiblement vénéneuses.
Psychédélique, multicolore, le résultat évoque un paradis sauvage, outrageusement fertile en dépit des catastrophes ambiantes. Il clame l’intense sensation d’être en vie, envers et contre tout. Elles jouent, ces deux-là, évidemment, en traçant, brossant, scarifiant et diluant ces feux d’artifices, qui métamorphosent leurs peurs en spectacles. Maîtresses femmes de leurs créations respectives depuis des décennies, elles optent en dialoguant ainsi, pour « la diversion, le divertissement, la dérive ». Selon une méthode chère au peintre Jorn, cofondateur de l’Internationale Situationniste et Commandeur Exquis du Collège de Pataphysique : au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, en compagnie des autres membres du groupe CoBrA, il orchestrait en effet des images à 4, 6, 8 et même 10 mains. Et demandait à ses enfants de participer ! « Il est important de comprendre cette loi inévitable que c’est la quantité qui crée la base de la naissance des nouvelles qualités », écrivait-il. « Qui peut dire si ce sont les fibres ou le suc qui permettent la vitalité et la verticalité d’une plante (…), puisque chacun de ces éléments collabore à un résultat global », affirmait-il aussi.Plutôt que de s’en remettre comme nombre de plasticiens aux accidents de la matière – taches, coulures, froissages, etc. –, pour les sublimer jusqu’à ce qu’une forme inédite surgisse, laisser un second artiste chambarder le savoir-faire du premier, c’est gonflé. Ainsi provoquée, la poésie surgit, se répand. Les chimères générées sont irrémédiablement déroutantes. Quand bien même ces deux femmes fortes têtes issues d’une même génération, vivant à Paris au 21e siècle, ne manquent pas de points communs ; l’humour, la joie, la sororité, par exemple. Au final, nulle entre-dévo- ration : Emma chevauche irrémédiablement ses intuitions, Sophie clame toujours ses désirs. La première distille son monde intérieur, la seconde enrobe celui des apparences.À Emma l’épineux secret, à Sophie l’énigme charnue. À nous, entre les deux, le cœur balancé. Et revigoré. »
Françoise Monnin, rédactrice en chef du magazine Artension